
Le marché de l’emploi et la question de l’emploi des jeunes en Côte d’Ivoire sont des paradoxes vivants. D’un côté, le pays affiche une croissance économique robuste, saluée par les institutions internationales, avec un PIB en hausse constante depuis une décennie. De l’autre, des dizaines de milliers de jeunes, souvent diplômés, peinent à trouver leur place dans un paysage dominé par l’informalité, qui engloutit 80% de l’économie.
Le récent Salon National de l’Emploi, tenu du 3 au 9 mars 2025 à Abidjan, a attiré plus de 50 000 jeunes en quête d’opportunités, un chiffre impressionnant qui traduit autant l’espoir que la détresse. Mais derrière cette affluence record, une question persiste : ces initiatives résolvent-elles vraiment le problème ou ne font-elles que masquer une crise plus profonde ?
Le Dr. Eddy Gnapia, expert en éducation, jette un pavé dans la mare : selon lui, 80% des diplômés de l’Université Félix Houphouët-Boigny seraient inadaptés aux besoins du marché, un système éducatif qu’il juge « en retard de 21 ans« . Ces tensions ont éclaté au grand jour lors du débat télévisé NCI 360 du 16 mars 2025, où le ministre Mamadou Touré a défendu ses résultats face à des critiques acerbes. Entre annonces triomphales, chiffres contestés et appels à la réforme, cet article explore les vérités du marché de l’emploi ivoirien : les efforts du gouvernement, les alertes des experts, la politisation du sujet, et les espoirs des jeunes eux-mêmes. Plongée dans un enjeu qui divise autant qu’il mobilise
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Les chiffres officiels : une Brillante réussite selon le Ministre Mamadou Touré
Pour Mamadou Touré, ministre de la Promotion de la Jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du Service civique, la Foire Nationale de l’Emploi et du Recrutement (FNER), tenue du 3 au 9 mars 2025 à Abidjan, est une victoire incontestable. « Nous ne sommes pas allés à l’aveugle », insiste-t-il. Pendant des mois, son équipe a collaboré avec des entreprises pour recenser leurs besoins, aboutissant à plus de 5 000 postes à pourvoir.
Au total, l’événement a mobilisé 45 000 opportunités : 3 000 stages, 20 260 formations à visée d’insertion, et 14 675 postes dans les Travaux à Haute Intensité de Main-d’Œuvre (TIMO), dont le démarrage est prévu pour le 1er avril 2025. Sur les 50 000 jeunes présents, 21 930 ont décroché une opportunité, dont 2 390 avec des accords de principe pour un recrutement, et plusieurs ont signé des contrats à durée déterminée (CDD).
Côté financement, 1,5 milliard de FCFA ont été mobilisés via des fonds de garantie avec des banques partenaires, permettant à 810 jeunes entrepreneurs de recevoir 1,395 milliard pour leurs projets. Des structures comme l’Union des villes et communes de Côte d’Ivoire et des cabinets de formation ont renforcé l’offre, avec des exemples concrets de succès. Dialo Mariam, une participante, a ainsi décroché un contrat dans la technologie après une formation ciblée.

Pour Touré, cette méthodologie – identifier les besoins, mobiliser des partenaires, puis connecter les jeunes aux opportunités – prouve que l’État joue son rôle dans une économie libérale : réguler et faciliter, sans créer directement des entreprises. « Si un jeune formé en sociologie est au chômage, nous lui offrons une reconversion », ajoute-t-il, mettant en avant une approche pragmatique. Ces chiffres, martelés avec assurance, dressent le portrait d’une initiative ambitieuse, mais la question demeure : suffisent-ils à transformer le marché de l’emploi ivoirien ?

Derrière les chiffres : une réalité moins reluisante ?
Les chiffres avancés par Mamadou Touré lors de la Foire Nationale de l’Emploi 2025 impressionnent : 45 000 opportunités, 21 930 jeunes bénéficiaires, 5 000 postes mobilisés. Pourtant, en grattant sous la surface, des fissures apparaissent. Sur les 2 390 jeunes ayant obtenu un « accord de principe » pour un recrutement, combien ont réellement signé un contrat stable ? Le ministre évoque des CDD pour « plusieurs jeunes », mais leur nombre exact reste flou, tout comme leur durée et leurs conditions.
Lors du débat NCI 360 du 16 mars 2025, des intervenants ont pointé du doigt cette opacité, arguant que les statistiques de placement pourraient gonfler les apparences sans refléter des emplois durables. Un participant a même relevé que « la finalisation des contrats traîne », laissant des milliers de jeunes dans l’attente.

À cela s’ajoute le poids écrasant de l’informalité, qui représente 80% de l’économie ivoirienne. Les stages (1 250 obtenus sur 3 000 proposés) et les formations (2 375 sur 20 260 disponibles) sont des tremplins, mais mènent-ils vraiment à des postes formels ? L’exemple d’une jeune femme au Salon, initialement annoncée avec un contrat de 45 000 FCFA par trimestre – en réalité un stage de six mois avec incitations – illustre les malentendus qui brouillent la perception des opportunités.
Si le ministre insiste sur son rôle de régulateur, ces zones grises soulignent une limite : sans transparence accrue ni suivi à long terme, ces initiatives risquent de n’être que des pansements sur une plaie plus profonde. La réalité de l’emploi en Côte d’Ivoire semble ainsi osciller entre promesses ambitieuses et résultats incertains, une tension que les jeunes vivent au quotidien.
Politisation du débat : l’emploi, un enjeu de pouvoir ?
Le marché de l’emploi en Côte d’Ivoire ne se limite pas à des chiffres ou des initiatives : il est aussi un terrain miné par la politique. Le débat NCI 360 du 16 mars 2025, réunissant Mamadou Touré, Dr. Eddy Gnapia et d’autres voix, a cristallisé ces tensions. D’un côté, le ministre défendait ses 45 000 opportunités comme une réponse concrète au chômage des jeunes ; de l’autre, des intervenants, dont Gnapia, ont dénoncé une « vitrine » masquant des failles systémiques.

La transparence des chiffres a vite viré à l’affrontement : les 2 390 accords de principe pour des recrutements ont été qualifiés d’ »optimistes » par certains, qui exigent des preuves de contrats signés. « On annonce des placements, mais où sont les suivis ? », a lancé un participant, reflétant un scepticisme partagé.
Cette joute verbale a révélé une politisation rampante. Touré, figure du gouvernement, incarne une volonté de résultats dans un contexte électoral sensible, où la jeunesse – 77% de la population a moins de 35 ans – est un électorat clé. Mais les critiques, comme celles de Gnapia, flirtent avec une accusation plus large : les initiatives seraient-elles des outils de communication plus que des solutions durables ? Le débat a aussi mis en lumière des fractures sociales, notamment entre zones rurales et urbaines.
« Les opportunités se concentrent à Abidjan, et les villages ? », a interrogé un auditeur, soulignant une inégalité que le ministre a promis d’adresser. Entre appels à la collaboration nationale et soupçons de récupération politique, l’emploi des jeunes devient un miroir des luttes de pouvoir. Le consensus, prôné par certains pour dépasser les clivages partisans, reste fragile face aux attentes pressantes d’une génération qui oscille entre espoir et défiance.
Les jeunes ivoiriens au cœur de la tempête : espoirs et désillusions
Au centre de ce tumulte autour de l’emploi en Côte d’Ivoire, il y a eux : les jeunes. Plus de 50 000 ont afflué à la Foire Nationale de l’Emploi 2025, un raz-de-marée qui a forcé les organisateurs à prolonger l’événement de deux jours. Pour certains, comme Dialo Mariam, l’espoir a pris forme : après une formation technologique offerte lors du Salon, elle a décroché son premier contrat, une lueur dans un parcours semé d’incertitudes. « J’y ai cru, et ça a marché », confie-t-elle, incarnant les 21 930 jeunes ayant saisi une opportunité parmi les 45 000 proposées. Mais pour combien d’autres, cette foule traduit-elle une urgence plus qu’une solution ?

Les chiffres masquent des réalités contrastées. Sur les 3 000 stages mobilisés, seuls 1 250 ont trouvé preneurs, souvent mal rémunérés – 45 000 FCFA pour six mois dans certains cas, avant clarification sur des incitations possibles. « On nous demande de l’expérience, mais comment en avoir sans commencer ? », s’agace un diplômé en finance, recalé malgré son CV. Les 20 000 intéressés par les TIMO, contre 14 675 retenus, montrent aussi une demande qui dépasse l’offre.
Ces jeunes, souvent issus d’un système éducatif critiqué par Dr. Gnapia, oscillent entre détermination et découragement. « On veut travailler, pas mendier », lâche une participante au débat NCI 360, reflétant une génération qui refuse l’inaction. Leur présence massive au Salon prouve leur volonté d’agir, mais leurs voix exigent plus : des emplois stables, pas des promesses éphémères. Entre succès isolés et désillusions collectives, ils restent les vrais acteurs d’un défi qui les dépasse.
Vers une solution durable : quelles pistes pour l’avenir ?
Face au casse-tête de l’emploi des jeunes en Côte d’Ivoire, les initiatives de Mamadou Touré et les alertes de Dr. Eddy Gnapia dessinent deux faces d’une même médaille : l’action et la réforme. Le ministre mise sur la régulation et la reconversion – 20 260 formations proposées lors de la Foire Nationale de l’Emploi, 1,5 milliard FCFA pour l’entrepreneuriat – pour adapter les jeunes à un marché libéral. « Notre rôle n’est pas de créer des entreprises, mais de faciliter », martèle-t-il, une approche qui a permis à 810 entrepreneurs de démarrer. Pourtant, Gnapia rétorque que sans un système éducatif aligné sur les besoins réels, ces efforts restent des « pansements ». Ses 80% de diplômés inadaptés sonnent comme un appel urgent à repenser la formation.
Alors, comment avancer ? D’abord, la transparence doit s’imposer. Les 2 390 accords de principe du Salon méritent un suivi public clair : combien deviennent des emplois stables ? Ensuite, l’éducation doit pivoter vers la pratique. Intégrer des stages obligatoires dès l’université, comme le propose Gnapia, et tisser des partenariats public-privé – à l’image des 146 entreprises du Salon – pourraient combler le fossé entre théorie et terrain. Le modèle de NOE-Polytechnique, vanté par l’expert, montre la voie : des diplômés « prêts à l’emploi » en un temps record. Enfin, l’entrepreneuriat doit être dopé
. Élargir les fonds de garantie au-delà des 1,5 milliard FCFA et simplifier l’accès pour les jeunes ruraux équilibrerait les chances face à l’informalité galopante (80% de l’économie). Ces pistes exigent une collaboration étroite entre gouvernement, éducateurs et entreprises, loin des querelles politiciennes. Seule une stratégie systémique transformera les espoirs des 50 000 jeunes du Salon en une réalité durable, pour une Côte d’Ivoire où la jeunesse ne soit plus un problème, mais une force.
un défi national à relever
Le marché de l’emploi en Côte d’Ivoire est à la croisée des chemins. Mamadou Touré brandit ses 45 000 opportunités comme un étendard de progrès, tandis que Dr. Eddy Gnapia alerte sur un système éducatif qui handicape 80% des diplômés. Entre les 50 000 jeunes du Salon de l’Emploi, avides d’avenir, et les critiques d’une politisation stérile, une vérité émerge : la jeunesse, moteur d’une nation où 77% ont moins de 35 ans, ne peut plus attendre. Les efforts existent – reconversions, financements, TIMO –, mais ils patinent face à l’informalité et à un enseignement déphasé. La solution ne viendra ni d’un ministre seul, ni d’un expert isolé, mais d’un sursaut collectif.
Le gouvernement peut-il tout faire dans une économie libérale ? Cette question, laissée en suspens lors du débat NCI 360, interpelle chacun : entreprises, éducateurs, jeunes, et même partis politiques. Transformer les espoirs en emplois durables exige de dépasser les chiffres triomphants et les querelles pour bâtir un système où formation rime avec marché, et où ambition rurale rejoint dynamisme urbain. La Côte d’Ivoire a les ressources et la jeunesse pour y parvenir. Reste à agir, ensemble.
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