Donald Trump, héros inattendu des néosouverainistes sahéliens : Quand « America First » inspire l’Afrique
Dans les rues de Bamako, Niamey ou Ouagadougou, un nom revient de plus en plus souvent dans les débats politiques : Donald Trump. Loin d’être une figure anodine, l’ancien président des États-Unis, pourtant isolé sur la scène internationale, semble trouver un écho favorable auprès des mouvements dits « patriotiques » qui gravitent autour des régimes militaires du Sahel. Pourquoi cet homme, champion de l’isolationnisme américain, suscite-t-il un tel engouement dans une région en quête de stabilité et d’identité ?
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Un discours trumpiste qui résonne au Sahel
La viralité d’un extrait de discours de Donald Trump à l’ONU en 2019, partagé sur les réseaux sociaux maliens, en dit long sur l’impact de ses idées dans cette région. « Le futur appartient aux patriotes. Le futur appartient aux nations souveraines et indépendantes », proclamait-il alors. Ce message, qui prônait une rupture avec la mondialisation effrénée, trouve un écho puissant au Sahel, où les tensions sécuritaires, les conflits locaux et l’essor de nouveaux acteurs géopolitiques redéfinissent les priorités.
Les néosouverainistes sahéliens, qui accompagnent les militaires au pouvoir, voient dans ce discours une validation de leur propre rejet des influences extérieures. Ces régimes, souvent critiqués pour leur autoritarisme, trouvent dans l’approche trumpiste une sorte de légitimité morale : celle de replacer la souveraineté nationale au cœur des préoccupations politiques.
Souveraineté et rejet des élites : des points communs frappants
L’un des principaux points de convergence entre le trumpisme et le néosouverainisme sahélien réside dans la défiance envers les élites. Aux États-Unis, Donald Trump a su incarner le rejet des élites « offshore », accusées d’être déconnectées de la réalité du citoyen moyen. De manière similaire, dans les pays du Sahel, une partie des populations blâme les élites politiques pour leur incapacité à répondre aux défis locaux, les qualifiant de « traîtres » à la cause nationale.
Ce parallèle trouve un écho littéraire dans La Route des clameurs du Malien Ousmane Diarra, où la « République malade » des années de démocratie factice est dénoncée. Dans ce contexte, l’émergence de dirigeants militaires au Sahel s’inscrit dans une volonté de rupture avec un passé jugé corrompu, voire complice d’une mondialisation perçue comme dévastatrice.
Un contexte géopolitique favorable au repli identitaire
Le Sahel traverse une période de bouleversements majeurs : montée des groupes jihadistes, pressions migratoires, et reconfiguration des alliances internationales avec l’arrivée de nouveaux acteurs tels que la Russie, la Turquie ou encore l’Ukraine. Ce contexte exacerbe les discours souverainistes et favorise une réévaluation des alliances traditionnelles.
Les relations avec les États-Unis, par exemple, ont connu un refroidissement notable, symbolisé par l’expulsion des troupes américaines de leurs bases au Niger. Ce geste, largement applaudi par les partisans des régimes militaires, illustre la volonté de ces États de s’émanciper des influences occidentales jugées néocoloniales.
L’ironie, cependant, réside dans le fait que Donald Trump lui-même, tout en prônant le « America First », n’a jamais élaboré de stratégie claire pour l’Afrique. En dépit de cela, ses idées d’autonomie et de primauté des intérêts nationaux trouvent un terrain fertile dans une région en quête de redéfinition identitaire.
Quand le rêve américain alimente le mythe sahélien
Le slogan « Make America Great Again » n’est pas sans rappeler la volonté des mouvements patriotiques sahéliens de renouer avec un passé idéalisé. Cette quête de « soi-d’avant », romantisée, est posée comme une solution aux maux d’une globalisation jugée déviante. Le Sahel, confronté à une absence de repères politiques stables, se tourne vers cette vision pour se réinventer.
Cependant, cette fascination pour Trump n’est pas sans contradictions. Alors que le « trumpisme » prône un repli sur soi, les réalités sahéliennes appellent à une coopération internationale accrue pour résoudre les problèmes sécuritaires et économiques. La dépendance aux aides étrangères et aux partenaires internationaux reste forte, même si le discours officiel s’en éloigne.
Un engouement révélateur d’un monde en mutation
Le succès inattendu de Donald Trump dans l’imaginaire politique sahélien révèle bien plus qu’une simple admiration pour un homme politique. Il reflète un basculement profond dans la manière dont les populations et les dirigeants perçoivent le rôle de leur nation dans un monde globalisé.
Dans un contexte de remise en question des systèmes politiques hérités de l’indépendance, la figure de Trump incarne à la fois une rupture avec l’ordre établi et une aspiration à un modèle de gouvernance centré sur les intérêts nationaux.
Mais à quel prix ? Alors que l’Afrique continue de se battre pour sa place dans un monde multipolaire, le défi pour les régimes sahéliens sera de traduire ces aspirations en politiques durables, sans céder aux dérives autoritaires et aux illusions populistes.
L’écho du trumpisme au Sahel n’est pas qu’un phénomène anecdotique : il est un miroir des tensions, des espoirs et des contradictions qui façonnent aujourd’hui l’avenir de cette région.