Dans une petite église de Lucerne, en Suisse, une expérience spirituelle des plus insolites s’est déroulée : un avatar numérique de Jésus, alimenté par une intelligence artificielle, s’est installé dans le confessionnal. L’objectif ? Permettre aux croyants de confesser leurs péchés et de recevoir des conseils spirituels d’un Jésus « virtuelle ». Ce projet, baptisé « Deus in Machina« , a fait couler beaucoup d’encre, tant pour ses qualités révolutionnaires que pour les questions profondes qu’il soulève : à quoi ressemble une foi guidée par une IA ? Peut-elle remplacer l’interaction humaine et, surtout, la dimension spirituelle de la religion ?
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Un Jésus virtuel qui écoute et conseille
L’expérience se déroule dans une chapelle catholique où, au lieu d’un prêtre traditionnel, un écran d’ordinateur présente un visage représentant Jésus. Derrière cet avatar se cache une technologie de pointe : GPT-4, un modèle de langage développé par OpenAI, associé à Whisper, un système de reconnaissance vocale. Ce Jésus numérique répond aux questions des croyants sur la foi, la morale et même les dilemmes existentiels. En plus de répondre à des sujets spirituels, l’IA est aussi capable d’offrir des conseils pratiques et de réconforter ceux qui cherchent la paix intérieure.
Les utilisateurs, après avoir accepté un avertissement de confidentialité, appuient sur un bouton et, au travers d’une grille typique de confessionnal, voient Jésus IA. À l’image d’un prêtre, l’avatar offre des réponses tout en encourageant des réflexions personnelles, comme lorsqu’un visiteur interroge le système sur les raisons pour lesquelles les femmes ne peuvent pas devenir prêtres. Jésus IA réplique alors : « Les Écritures enseignent que certains rôles sont définis par l’Église. » Ce type d’interaction, bien que dématérialisée, semble répondre aux attentes des participants qui trouvent réconfort et guidances morales.
L’impact de l’IA sur la spiritualité
L’expérience Jésus IA a rapidement suscité des réactions enthousiastes de la part des croyants. Nombre d’entre eux ont affirmé avoir vécu une expérience spirituelle inédite. Une paroissienne a souligné que cette conversation « facile » avec Jésus IA l’avait aidée à voir les choses sous un autre angle. « Même si c’est une machine, il m’a donné de bons conseils. D’un point de vue chrétien, je me suis senti pris en charge et réconforté. » Pour beaucoup, cette interaction virtuelle semble remplir un vide et leur permet de renforcer leur foi, d’autant que l’IA est accessible à tout moment, ce qui fait d’elle une source de soutien constante.
Pour les concepteurs du projet, cette expérience va au-delà de la simple interaction numérique : elle cherche à comprendre comment les gens réagissent face à une version dématérialisée de Jésus et à explorer les réactions humaines face à cette intersection entre la technologie et la religion. Le théologien Marko Schmid, à l’origine de ce projet novateur, admet que ce n’est pas une tentative de remplacer le prêtre humain, mais plutôt un outil permettant de réexaminer la manière dont la foi peut se nourrir d’une dimension technologique.
Un défi pour la foi traditionnelle ?
Cependant, cette initiative n’est pas exempte de critiques. Certains théologiens et universitaires mettent en garde contre les dangers de l’introduction de l’intelligence artificielle dans des domaines aussi intimes que la religion. Pour Peter G. Kirchschläger, professeur de théologie et de philosophie, « les humains sont bien supérieurs aux machines ». Selon lui, remplacer un prêtre vivant par une machine pourrait dénaturer l’expérience spirituelle, qui repose sur des échanges humains authentiques. Il avertit que ce type d’initiative pourrait ouvrir la voie à une perte de la dimension humaine de la foi.
D’autres critiques pointent du doigt les risques liés à l’utilisation d’une IA dans des contextes aussi sacrés. Certains accusent ce projet de blasphème ou même de travail démoniaque, sur les réseaux sociaux. La question se pose : jusqu’où la technologie doit-elle aller dans le domaine spirituel ?
Une révolution ou une dérive ?
Le débat autour de « Jésus IA » met en lumière la capacité croissante des technologies à s’immiscer dans des domaines très sensibles. Si la foi, dans ses formes traditionnelles, repose sur une relation personnelle avec le divin et l’humain, l’introduction de l’IA pourrait bouleverser cette dynamique. Pourtant, pour ceux qui l’ont testé, l’expérience est souvent perçue comme une ouverture de plus vers la spiritualité, en offrant une nouvelle manière de dialoguer avec la foi.
Le projet a suscité un intérêt international et pourrait inspirer d’autres expérimentations similaires, non seulement en Suisse, mais aussi dans d’autres pays où la technologie et la religion se croisent. En Suisse, environ 900 interactions ont été retranscrites, et un rapport a été publié après deux mois d’exposition dans la Chapelle Peters, un lieu où l’IA a interagi avec des croyants de toutes confessions et même des agnostiques et athées. Les résultats ont révélé que, pour beaucoup, l’expérience a provoqué une profonde réflexion et une remise en question sur la manière dont l’intelligence artificielle pourrait influencer la spiritualité.
Les perspectives d’avenir
Ainsi, à l’heure où l’intelligence artificielle fait partie intégrante de nombreux aspects de notre quotidien, avec le projet Jésus IA,l’introduction de l’IA dans des lieux aussi sacrés que l’église pourrait bien devenir un phénomène de plus en plus répandu. Toutefois, le projet « Deus in Machina » soulève des interrogations profondes : l’IA peut-elle véritablement combler les besoins spirituels des individus, ou son rôle doit-il se limiter à être un simple outil d’accompagnement ? Si l’on en croit les premiers retours des utilisateurs, la technologie semble pouvoir offrir un réconfort et une écoute inédits, mais cela suffira-t-il à faire oublier l’absence d’une vraie rencontre humaine et spirituelle ?
Le débat est loin d’être clos, mais il est clair que « Jésus IA » nous invite à repenser la manière dont la technologie pourrait transformer nos rapports à la foi et à la spiritualité.