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Komé Bakary intouchable, Ghislain Dugarry menotté : le paradoxe judiciaire ivoirien

En Côte d’Ivoire, deux affaires judiciaires récentes captivent l’attention du public et soulèvent des interrogations sur l’équité du système judiciaire. D’un côté, Komé Bakary, accusé de fraudes foncières massives et de faux, reste libre sous surveillance malgré des multiples plaintes. De l’autre, Ghislain Dugarry, enseignant et leader syndical, a été arrêté avec violence pour avoir organisé une grève visant à réclamer des droits pour les enseignants. Cette différence de traitement interpelle : y a-t-il une justice à deux vitesses dans un pays où le contexte politique est déjà tendu ?

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Komé Bakary : l’intouchable baron foncier

En Côte d’Ivoire, le nom de Komé Bakary résonne comme celui d’un homme d’affaires aussi influent que controversé. À la tête d’un empire foncier bâti sur des pratiques douteuses, cet opérateur économique est aujourd’hui au cœur d’un scandale qui secoue le pays. Accusé de fraudes massives, de falsification de documents et d’expropriation illégale de terrains – pas moins de 272 lots seraient concernés selon les enquêtes –, Bakary incarne pour beaucoup l’image d’un baron intouchable, protégé par un système qui semble hésiter à le sanctionner.

Les plaintes s’accumulent, plus de vingt à ce jour, portées par des familles dépossédées, des riverains spoliés et des ayants droit floués. Pourtant, l’homme reste libre, circulant dans les rues d’Abidjan sous une simple surveillance policière, interdit de quitter le territoire mais jamais menotté.

L’indignation publique a atteint un point culminant avec une pétition en ligne, initiée par l’imam Cissé Ben Ali, qui a recueilli plus de 12 148 signatures en quelques jours seulement. « Arrêtez Komé Bakary ! » clament les signataires, exaspérés par ce qu’ils perçoivent comme une impunité criante. Les accusations sont graves : utilisation de faux titres de propriété, imitation de signatures de magistrats, et même des incohérences sur son identité – tantôt né au Mali, tantôt à Abobo Gare ou Bingerville selon les documents.

Des victimes comme Mme Touré Hélène, une enseignante expulsée de sa maison en 2013, témoignent de vies brisées par ces pratiques. Malgré des interrogatoires marathon, comme celui de 10 heures le 25 mars 2025, Bakary repart chaque fois chez lui, laissant planer le doute sur la volonté réelle des autorités à agir.

Le ministre de la Justice, Sansan Kambilé, a tenté de calmer les esprits en affirmant que « les services judiciaires veulent travailler en toute sérénité, loin des bruits des réseaux sociaux ». Une réponse qui, loin d’apaiser, a ravivé les soupçons d’un traitement de faveur. Car pendant que les preuves s’accumulent – une procuration frauduleuse annulée par le tribunal, des sceaux républicains falsifiés –, Komé Bakary, lui, continue de défier la justice, répondant aux convocations selon son bon vouloir. Un privilège qui tranche avec la rigueur habituelle des forces de l’ordre face à d’autres justiciables, et qui alimente un sentiment d’injustice profond dans l’opinion publique.

Ghislain Agassy : menotté pour avoir défendu des droits

À l’opposé du traitement réservé à Komé Bakary, l’histoire de Ghislain Dugarry illustre une tout autre facette de la justice ivoirienne. Enseignant respecté et secrétaire général de l’IEPP Anonkoua-Kouté, cet homme de 42 ans est devenu une figure emblématique du combat syndical pour les droits des enseignants. Depuis des années, il milite pour que les primes promises par l’État soient versées, une revendication qui a culminé avec une grève nationale début avril 2025.

Mais dans la nuit du 2 avril, son engagement s’est heurté à une répression brutale : des policiers encagoulés ont fait irruption à son domicile d’Abidjan, défonçant la porte sans mandat devant sa femme et sa fille terrifiées. « Ils ont crié ‘Police, ouvrez !’, puis ont tout cassé », raconte sa fille, encore sous le choc.

Arrêté sans ménagement, Dugarry fait face à deux chefs d’accusation : coalition d’agents publics et entrave au fonctionnement des services publics. Placé sous mandat de dépôt, il attend désormais son transfert au pôle pénitentiaire d’Abidjan, avec un procès prévu dans les 15 prochains jours. Son avocat dénonce une « violation flagrante des libertés individuelles », tandis que Fleur Aké M’Bo, cadre du PPA-CI, parle d’un « enlèvement » orchestré pour museler les voix dissidentes. Ce coup de force intervient dans un contexte tendu, à six mois des élections présidentielles, où les grèves sont perçues comme une menace par le pouvoir en place.

Pour ses collègues, Dugarry est un martyr, victime d’une justice expéditive qui contraste avec la lenteur accordée à d’autres affaires. « Il défendait nos droits, et on le traite comme un criminel », déplore un enseignant gréviste. Une répression qui pose question : pourquoi une telle sévérité pour un syndicaliste, là où d’autres échappent aux barreaux ?

Voici la rédaction de la section suivante, avec environ 300 mots comme prévu, dans un style journalistique analytique et équilibré :

Une justice à deux vitesses : décryptage de la disparité

Le contraste entre les cas de Komé Bakary et Ghislain Agassy ne passe pas inaperçu en Côte d’Ivoire. D’un côté, un homme d’affaires accusé de fraudes massives, libre malgré des preuves accablantes et une clameur publique. De l’autre, un enseignant syndicaliste menotté en pleine nuit pour avoir organisé une grève. Comment expliquer une telle disparité dans l’application de la justice ? Plusieurs pistes émergent, ancrées dans un mélange de politique, de statut social et de priorités gouvernementales.

Le climat pré-électoral offre un premier indice. À six mois des présidentielles d’octobre 2025, le pouvoir semble déterminé à étouffer toute agitation sociale. Les grèves des enseignants, récurrentes depuis 2024, fragilisent l’image d’un gouvernement déjà critiqué pour ses promesses non tenues. L’arrestation rapide Dugarry pourrait ainsi servir d’avertissement aux autres leaders syndicaux, une démonstration de fermeté face à ce que les autorités qualifient d’« entrave aux services publics ». À l’inverse, l’affaire Bakary, bien que médiatisée, ne menace pas directement l’ordre immédiat. Sa lenteur judiciaire pourrait refléter une prudence stratégique, évitant d’attiser des tensions avec des réseaux influents dans un secteur foncier notoirement sensible.

Le statut des accusés joue aussi un rôle. Komé Bakary, avec ses connexions présumées dans les sphères administratives et économiques, bénéficie peut-être d’une protection implicite, tandis que Dugarry, simple fonctionnaire, incarne une cible plus facile. Le député Antoine Assalé Tiémoko, dans une lettre ouverte, a dénoncé ce « deux poids, deux mesures », pointant des retards injustifiés dans l’enquête sur Bakary. Sur les réseaux sociaux, les internautes s’indignent :

« On arrête un prof en 24 heures, mais un voleur de terrains reste intouchable ! »

Cette perception d’une justice sélective n’est pas nouvelle en Côte d’Ivoire, mais elle s’amplifie dans ce contexte. Reste une question : la « sérénité » prônée par le ministre Sansan Kambilé est-elle une excuse pour l’inaction, ou une tentative sincère de juguler les émotions ? Une chose est sûre : la disparité alimente un débat brûlant sur l’équité devant la loi.

Le coût de l’inégalité : ce que cela signifie pour la Côte d’Ivoire

La différence de traitement entre Komé Bakary et Ghislain Dugarry dépasse le cadre de leurs affaires personnelles : elle met en lumière une fracture qui pourrait coûter cher à la Côte d’Ivoire. Premier enjeu, la confiance dans la justice. Dans un pays où les institutions ont été ébranlées par des décennies de crises politiques, voir un présumé fraudeur prospérer pendant qu’un syndicaliste est emprisonné renforce le sentiment d’une justice à deux vitesses. « Si les puissants s’en sortent toujours, pourquoi croire en l’État de droit ? » s’interroge un habitant d’Abidjan sur les réseaux sociaux, écho d’une défiance grandissante.

Cette inégalité menace aussi la stabilité sociale. À l’approche des élections d’octobre 2025, les frustrations accumulées – grèves réprimées, scandales fonciers impunis – pourraient se transformer en colère collective. Les appels à manifester se multiplient déjà en ligne, certains évoquant une marche pour exiger des réformes judiciaires. Enfin, sur le plan international, la Côte d’Ivoire, qui cherche à consolider son image de nation réformée, risque de voir sa crédibilité entachée si ces disparités persistent.

Le défi est clair : rétablir une équité visible pour apaiser les tensions. Sans cela, le fossé entre gouvernants et citoyens pourrait s’élargir, avec des conséquences imprévisibles dans un contexte électoral déjà volatile.

Le Mot de fin

Les cas de Komé Bakary et Ghislain Agassy révèlent un paradoxe troublant au cœur du système judiciaire ivoirien. Alors que l’un échappe à la détention malgré des accusations graves, l’autre paie le prix fort pour avoir exercé un droit fondamental. À l’aube d’une période électorale décisive, cette inégalité soulève une question essentielle : la Côte d’Ivoire peut-elle restaurer la confiance en une justice équitable, ou ce décalage continuera-t-il de fragiliser l’État de droit ? Le débat est ouvert, mais l’urgence d’une réponse est indéniable. Car dans l’ombre de ces affaires, c’est l’avenir d’une nation qui se joue.

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