Tensions dans l’éducation : neuf syndicalistes interpellés après une rencontre avec la ministre

Abidjan – Neuf syndicalistes dont le porte-parole David Bli Blé, ont été interpellés par la gendarmerie ce mardi 8 avril 2025, quelques heures après une réunion avec la ministre de l’Éducation nationale, Mariatou Koné. Cette arrestation survient dans un contexte de grève enseignante déclenchée depuis le 4 avril pour réclamer le paiement de primes, et relance les craintes d’une escalade entre le gouvernement et les syndicats qui pourrait avoir des conséquences desastreuses sur l’année scolaire actuelle.
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Une interpellation surprise au cœur d’Abidjan
Vers 13 heures, les neuf membres de l’Intersyndicale du MENA/METFP ont été arrêtés alors qu’ils s’attablaient dans un restaurant du Petit Marché, près de la Cité administrative. Parmi eux figuraient David Bli Blé, figure médiatique du mouvement, et huit autres cadres syndicaux. Conduits à la Brigade des recherches du Plateau, ils ont été entendus sans qu’aucune charge formelle ne soit communiquée dans l’immédiat.

La scène contraste avec le ton apaisé de la rencontre tenue plus tôt avec la ministre Koné. Dans une salle du 28ᵉ étage de la Tour D, les parties avaient évoqué pendant près de trois heures la reprise du dialogue social. « Nous nous sommes parlés. Nous nous sommes compris », avait même déclaré Bli Blé à la presse, saluant « l’écoute » de la ministre.
Grève illégale ou droit bafoué ?
Depuis le 4 avril, enseignants du primaire et du secondaire réclament le versement de primes promises, suspendues selon eux depuis 2022. Le gouvernement, par la voix de la ministre de la Fonction publique, a qualifié le mouvement d’« illégal », menaçant de licenciements les grévistes. Un positionnement qui crispe les syndicats : « Où est la politisation quand nos revendications profitent à tous, quel que soit le parti ? », interroge un membre de l’Intersyndicale sous couvert d’anonymat.

Les arrestations interviennent alors que le droit de grève, garanti par la Constitution ivoirienne, fait l’objet d’un débat tendu. En 2023, un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) avait déjà alerté sur les « restrictions croissantes » aux libertés syndicales dans le pays.
Le double langage des rencontres officielles
La réunion de ce mardi devait marquer un premier pas vers la résolution de la crise. La ministre Koné y a appelé à « prioriser le droit à l’éducation », tout en assurant que « le dialogue reste ouvert ». Les syndicats, de leur côté, ont remis un document listant leurs demandes, incluant le respect des accords salariaux et la protection des libertés syndicales.
Mais l’interpellation des dirigeants grévistes quelques heures plus tard jette une ombre sur ces déclarations. « Comment croire à une volonté de négocier quand on arrête ceux qui portent la parole des enseignants ? », dénonce un professeur en grève contacté par téléphone.
Liste noire au des syndicalistes arretés au Plateau
Parmi les interpellés figurent des noms connus du paysage syndical :
- David Bli Blé (porte-parole principal)
- Kla Alain Charles
- Kouamé Zouzou Raphaël
- Boka Kouadio Arnaud
- Akaffou Pierre
- Zondé Stéphane
- Kouassi Jean Marc
- Kangah Ernest
- Achi Béché

Aucun avocat n’a pu s’entretenir avec eux dans les premières heures suivant leur interpellation, selon leurs proches. La gendarmerie justifie ces arrestations par des « vérifications d’usage », sans préciser si des poursuites judiciaires sont envisagées.
Un climat politique inflammable
La crise survient dans un contexte électoral tendu, à un six mois des présidentielles de 2025. Le RHDP, parti au pouvoir, accuse certains syndicats de servir d’« relais » à l’opposition – une thèse rejetée par les concernés. « Nos membres sont issus de tous bords politiques. Cette grève est sociale, pas un combat partisan », insiste un responsable de l’ISMENA/ETFPA.
Pourtant, des figures du PDCI-RDA et du PPA-CI ont exprimé leur soutien aux grévistes, alimentant les suspicions. « Quand l’éducation devient un champ de bataille politique, c’est l’avenir du pays qui est hypothéqué », analyse un enseignant-chercheur à l’université Félix-Houphouët-Boigny.
Quelles suites pour la négociation ?
Malgré les arrestations, les syndicats maintiennent leur mot d’ordre de grève. « Les cours sont suspendus dans au moins 60 % des établissements du pays », affirme un rapport interne de l’Intersyndicale. Du côté du gouvernement, on assure travailler à « une solution rapide », tout en restant ferme sur le caractère « illicite » du mouvement.
La balle semble dans le camp du président Ouattara, habitué aux arbitrages en situation de crise. En 2018, une grève similaire s’était conclue par une augmentation de 15 % des primes enseignantes après trois semaines de blocage.
L’éducation, variable d’ajustement ?
Au-delà des primes, c’est la place de l’école dans les priorités nationales qui est questionnée. Le budget de l’Éducation a été réduit de 8 % en 2024, selon les chiffres officiels. « Comment attirer les jeunes vers l’enseignement si on ne valorise pas ceux qui y œuvrent ? », s’interroge une directrice d’école à Yopougon.
Alors que le pays vise un taux de scolarisation de 100 % d’ici 2030, les syndicats avertissent : « Sans enseignants motivés, cet objectif restera un vœu pieux. »
La journée de ce 8 avril s’achève sur une place de la République vide de manifestants, mais lourde d’incertitudes. Les neuf syndicalistes, toujours en garde à vue, symbolisent un dialogue social au bord de la rupture. Reste à savoir si les acteurs parviendront à renouer le fil du compromis – ou si l’éducation deviendra le théâtre d’une nouvelle confrontation.