Procès Damana Pickass : Quand le spectre de la politique plane sur la justice

L’atmosphère est lourde au tribunal d’Abidjan. Ce mercredi, le procureur a frappé fort : vingt ans de réclusion requis contre Damana Pickass. L’homme, cadre du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) et proche de Laurent Gbagbo, est accusé d’avoir joué un rôle dans l’attaque d’une caserne militaire en 2021. Une affaire qui, au fil des audiences, s’est teintée de politique. Déjà, au-delà des faits reprochés, certains dénoncent une justice instrumentalisée, tandis que la défense crie au procès politique.
A lire aussi :Une tribune du PPA-CI infiltrée par des forces de l’ordre : le parti de Gbagbo accuse l’État
Une nuit sous tension, une attaque en pleine nuit
Les événements remontent à la nuit du 20 au 21 avril 2021. Aux alentours d’une heure du matin, le 2e bataillon « projetable » d’Abobo est pris pour cible. Des hommes armés, certains équipés de kalachnikovs, investissent les lieux. Les échanges de tirs résonnent dans l’obscurité, et trois assaillants tombent sous les balles des forces de l’ordre. L’attaque, qualifiée par le procureur de tentative de « renversement du régime en place », déclenche une enquête qui aboutira à l’arrestation de plusieurs individus, dont Damana Pickass.
Dans la salle d’audience, le réquisitoire est implacable. Outre la peine de prison, dix millions de francs CFA d’amende (15 200 euros) et dix ans de privation de droits civiques sont demandés contre l’accusé et quatre autres personnes. Des charges lourdes pèsent sur eux : atteinte à la sûreté de l’État, attentat contre l’autorité, participation à une activité mercenaire, association de malfaiteurs, détention illégale d’armes et de munitions de guerre. L’affaire est sérieuse, le ton est donné.
Un procès sous haute tension
Le visage fermé, Damana Pickass écoute, impassible. En face, le parquet ne mâche pas ses mots : « Les accusés sont des personnes qui n’ont jamais accepté la défaite électorale de 2010 ». Une pique lancée directement à l’opposition, une phrase qui enflamme les débats. L’avocat de la défense, Me Sylvain Tapi, contre-attaque. Pour lui, ce procès dépasse largement le cadre juridique : « Ce sont des pro-Gbagbo qui sont poursuivis », dénonce-t-il.

Dans l’enceinte du tribunal, la tension monte. L’accusation maintient que Damana Pickass et ses co-accusés ont agi dans l’ombre, orchestrant une action visant à fragiliser le pouvoir en place. La défense, elle, s’insurge contre ce qu’elle considère comme une manipulation de la justice à des fins politiques. L’audience devient le théâtre d’un affrontement où chaque camp tente d’imposer sa version des faits.
Des répercussions politiques à quelques mois des élections
L’affaire Damana Pickass ne survient pas dans un vide politique. À neuf mois de la présidentielle de 2025, les tensions entre pouvoir et opposition se ravivent. Ce procès, qui cristallise les clivages, ravive les souvenirs douloureux de la crise post-électorale de 2010-2011. Une crise qui avait fait près de 3 000 morts après la victoire d’Alassane Ouattara face à Laurent Gbagbo.

Dans les couloirs du PPA-CI, on parle d’une tentative d’élimination politique. Justin Katinan Koné, un cadre du parti, ne mâche pas ses mots : « C’est un procès politique ! ». Les souvenirs des militants emprisonnés en 2023, après avoir manifesté en soutien à Pickass, sont encore frais. Initialement condamnés à deux ans de prison ferme, ils avaient vu leur peine réduite en appel. Mais pour l’opposition, ce climat judiciaire demeure une pression constante sur les figures du camp Gbagbo.
Une décision qui marquera les esprits
Le verdict tombera bientôt. Dans un contexte où la justice est souvent perçue à travers le prisme des rapports de force politiques, l’issue de ce procès aura des répercussions bien au-delà de la simple condamnation d’un individu. Pour les uns, il s’agit d’un acte de justice visant à sanctionner des actes graves contre l’État. Pour les autres, une démonstration de force destinée à neutraliser une opposition jugée menaçante.
Dans les travées du tribunal, les regards se croisent, entre inquiétude et attente. Damana Pickass, lui, reste debout, immobile. L’instant est suspendu, l’histoire, elle, continue de s’écrire.