Toufah Jallow, une jeune Gambienne de 27 ans aux dreadlocks soignées, est une femme déterminée. Sa vie a pris un tournant inattendu lorsqu’elle a décidé de porter la voix des victimes de violences sexuelles et de poursuivre en justice l’ancien président de la Gambie, Yahya Jammeh. Elle est la première femme à avoir accusé l’ancien dictateur de viol alors qu’il était au pouvoir à Banjul de 1994 à 2017. Dans un livre témoignage traduit en français, elle raconte son histoire, brisée lors d’une nuit de juin 2015.
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La promesse d’une nuit de beauté
Le récit de Toufah Jallow commence en décembre 2014, lorsqu’elle participe au « Concours du 22 juillet, » un concours de beauté créé par Yahya Jammeh pour « promouvoir l’autonomie féminine. » Ce concours se déroule à la télévision et offre aux gagnantes des bourses d’études ou un soutien financier pour lancer leurs entreprises. À 19 ans, Toufah Jallow rêve de quitter la Gambie pour étudier les arts dramatiques à l’étranger, et ce concours lui semble être le moyen d’y parvenir. Cependant, ce qui semblait être une opportunité se transforme rapidement en un piège tendu par le clan Jammeh.
Toufah Jallow est introduite dans le monde du président Jammeh par Jimbee, la cousine et fidèle collaboratrice de l’ancien dictateur. Elle est invitée au palais présidentiel et, lors de sa première rencontre avec Jammeh, le président semble bienveillant et abordable.
« Il m’a lancé : “Salut la Peule !” Il nous a regardées à tour de rôle, et il a commencé à faire des plaisanteries sur les différentes ethnies, de façon aussi détendue qu’un oncle ou un ami de la famille. J’avais conscience de son pouvoir et j’avais entendu parler de ce qui arrivait aux personnes qui s’opposaient à lui mais, à ce moment-là, il m’a semblé bienveillant et même abordable », raconte-t-elle. Plus tard, il lui promet une aide de 100 000 dalasis (1 540 euros) pour un projet de pièce de théâtre, tout en louant sa « façon de parler et de bouger pour une fille de 18 ans »..
Peu à peu, Yahya Jammeh s’immisce dans la vie de Toufah Jallow. Il lui fait des cadeaux, lui offre un poste officiel, et promet de l’épouser. Lorsqu’elle décline cette proposition, des hommes en noir commencent à la suivre en permanence. Le piège se referme définitivement en juin 2015 lors d’une fête religieuse au palais présidentiel, où Toufah est agressée sexuellement par Jammeh. Il lui injecte même une substance, prétendant vérifier sa virginité.
Fuite vers la justice et l’asile pour Toufah Jallow
Après le viol, la peur et la honte poussent Toufah Jallow à fuir vers le Sénégal voisin, où elle obtient le soutien d’opposants gambiens et des autorités sénégalaises. « Le gardien de la résidence m’avait dit en me voyant sortir en larmes de la pièce : “C’est notre président, et nous ferons toujours tout pour le protéger” », écrit-elle. Son témoignage met les relations entre la Gambie et le Sénégal sous tension, mais elle finit par obtenir l’asile au Canada. Malheureusement, dans son pays d’origine, elle est calomniée par la presse et décrite comme une « femme vénale » et une « menteuse. »
En 2016, Yahya Jammeh est finalement battu dans les urnes, bien qu’il ait d’abord refusé de reconnaître sa défaite. Toufah Jallow décide alors de briser le silence et de revenir pour témoigner. Soutenue par l’ONG Human Rights Watch (HRW), elle publie son histoire, lançant le mouvement #IamToufah. Ses accusations font émerger d’autres témoignages de victimes présumées et révèlent le système de prédation sexuelle orchestré par Jammeh.
Exilé en Guinée équatoriale, Yahya Jammeh est au centre d’une bataille judiciaire. Les associations de victimes, regroupées sous la coalition #Jammeh2Justice, réclament un procès pour l’ancien président et ses complices. Le gouvernement gambien a promis la création d’un tribunal hybride, mais un procès en Gambie semble difficile en raison des puissants réseaux de Jammeh sur place.
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Toufah Jallow, à la tête d’une fondation, garde espoir que son agresseur présumé soit traduit en justice. Elle est déterminée à ce que ces crimes ne restent pas impunis et à rétablir sa version de l’histoire. Sa prise de parole a été cruciale pour révéler le système de prédation sexuelle de Jammeh et susciter une prise de conscience sur les violences sexuelles en Gambie. Elle luttera pour que justice soit rendue et pour sa propre guérison mentale, qui reste un processus long et difficile.