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Trenitalia attaque la SNCF avec des tarifs imbattables : que cachent ces prix ?

La compagnie italienne ébranle les tarifs du rail français avec une offre inédite. Derrière ces prix attractifs se cachent des mécanismes économiques et réglementaires qui interrogent.

Un billet à 27 € contre 50 € en moyenne chez la SNCF : Trenitalia a dévoilé ce mardi 11 mars 2025 ses tarifs pour la liaison Paris-Marseille, qu’elle opérera dès le 15 juin. Quatre allers-retours quotidiens, des arrêts à Lyon, Avignon et Aix-en-Provence, et une promesse : concurrencer frontalement la SNCF sur l’une de ses lignes les plus rentables. Si les voyageurs saluent une baisse des prix, les experts s’interrogent : comment une entreprise étrangère parvient-elle à proposer des tarifs si bas, et à quel prix ?

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Un avantage tarifaire qui interroge

Avec des billets à partir de 27 € en classe standard et 37 € en business, Trenitalia affiche des prix deux à trois fois inférieurs à ceux de la SNCF, où un Paris-Marseille coûte en moyenne 50 € à 120 € selon la réservation. La compagnie italienne réplique la stratégie qui lui a permis de capter 20 % du trafic sur Paris-Lyon depuis 2021. Mais cette compétitivité agressive repose en partie sur un dispositif réglementaire méconnu du grand public : une réduction de 30 % sur les péages ferroviaires, accordée par l’État français aux nouveaux entrants pendant trois ans.

« Cette aide permet de compenser les coûts d’entrée sur un marché très concentré »

explique Marco Caposciutti, président de Trenitalia France. Un avantage temporaire, puisque le dispositif expire progressivement. Sur Paris-Lyon, où la réduction a déjà pris fin, la compagnie assure maintenir ses tarifs grâce à une augmentation de 40 % du nombre de voyageurs chaque année. Un équilibre fragile, selon des analystes : « Si la croissance ralentit, ils devront soit augmenter les prix, soit réduire leurs marges », souligne Julien Brun, économiste spécialiste des transports.

La SNCF dans l’œil du cyclone

L’annonce de Trenitalia place la SNCF en position délicate. L’opérateur historique réalise près de 30 % de son chiffre d’affaires TGV sur la ligne Paris-Marseille, selon des données internes. Une manne financière vitale, qui pourrait être érodée par la concurrence. En 2024, après l’arrivée de Trenitalia sur Paris-Lyon, la SNCF avait réagi en lançant des promotions ponctuelles à 19 €. Mais ces offres, jugées « peu durables » par des syndicats, n’ont pas empêché la perte de parts de marché.

Interrogée sur une éventuelle contre-offensive, la SNCF se montre évasive : « Nous étudions toutes les options pour rester compétitifs », indique une porte-parole. En coulisses, des sources évoquent des négociations avec SNCF Réseau pour réduire les coûts d’accès aux voies, ou des ajustements de capacité. Mais l’opérateur public, dont la dette dépasse les 30 milliards d’euros, dispose d’une marge de manœuvre limitée.

Confort, ponctualité… et zones d’ombre

Trenitalia met en avant des trains modernes (Frecciarossa), le Wi-Fi gratuit et une ponctualité annoncée à 95 %. Mais des détails distinguent son offre de celle de la SNCF. En classe standard, l’espace pour les jambes est réduit à 76 cm, contre 89 cm dans les TGV Inoui. Les prises électriques individuelles, standard chez la SNCF, ne sont disponibles que dans certains wagons.

Autre point sensible : la gestion des perturbations. En décembre 2024, un incident sur la ligne Paris-Lyon avait entraîné des retards de trois heures pour plusieurs trains de Trenitalia, sans système de compensation automatique pour les voyageurs. « À 27 €, le rapport qualité-prix reste bon, mais il faut accepter un service moins complet », tempère Clara, une étudiante habituée de la ligne.

Infrastructures : la ligne Sud-Est sous pression

L’arrivée de Trenitalia sur Paris-Marseille risque d’accentuer la saturation de la ligne ferroviaire Sud-Est, particulièrement entre Lyon et Avignon. SNCF Réseau, gestionnaire des voies, assure que « la capacité est suffisante pour accueillir tous les opérateurs ». Pourtant, des rapports internes obtenus par Le Parisien révèlent que 15 % des trains subissent déjà des retards liés à la congestion sur cet axe.

Les syndicats du rail tirent la sonnette d’alarme : « Les investissements dans la maintenance et l’entretien des voies sont insuffisants depuis des années », dénonce Michel Bernard, représentant CGT. Un risque pour tous les opérateurs, y compris Trenitalia, dont les retards pourraient augmenter en cas de pic de trafic.

Une stratégie d’expansion méthodique

Trenitalia ne cache pas ses ambitions. Après Paris-Lyon et Paris-Marseille, la compagnie étudierait des liaisons vers Bordeaux, Toulouse ou Strasbourg. D’ici fin 2025, elle prévoit de doubler son offre sur Paris-Lyon, passant de cinq à dix allers-retours quotidiens. Un développement rendu possible par une flotte de 17 trains Frecciarossa dédiés au marché français.

Mais cette croissance dépendra de la rentabilité. Si Trenitalia refuse de communiquer ses marges, des experts estiment qu’elles seraient inférieures à 5 % sur Paris-Lyon. « Ils misent sur l’effet volume pour compenser », analyse Julien Brun. Un modèle qui rappelle celui des compagnies aériennes low-cost, mais que Trenitalia rejette : « Nous ne sommes pas dans une logique de réduction des coûts à tout prix », insiste Marco Caposciutti.

Les voyageurs, premiers gagnants… pour combien de temps ?

À court terme, la concurrence profite aux consommateurs. Depuis l’ouverture des ventes le 11 mars, les réservations pour l’été 2025 affichent un taux de remplissage de 65 % sur les premiers trajets, selon des données internes. Sur les réseaux sociaux, des utilisateurs partagent des comparatifs de prix, encourageant d’autres voyageurs à « tenter l’expérience ».

Mais des questions persistent sur la durabilité des tarifs. La réduction des péages accordée à Trenitalia prendra fin en 2026 sur Paris-Marseille. D’ici là, la compagnie devra avoir suffisamment augmenté sa fréquentation pour éviter une hausse des prix. Un défi de taille, alors que la SNCF pourrait riposter avec des offres agressives.

Vers une reconfiguration du marché ferroviaire ?

L’offensive de Trenitalia s’inscrit dans un mouvement plus large de libéralisation du rail européen, engagé en 2020. En Allemagne, la compagnie italienne a déjà lancé des liaisons Berlin-Francfort, tandis que des start-ups comme Midnight Trains préparent des trains-couettes entre Paris et plusieurs capitales européennes.

En France, cette ouverture reste timide. Outre Trenitalia, seul Ouigo (filiale low-cost de la SNCF) et quelques opérateurs régionaux se partagent le marché. Mais l’exemple italien pourrait inspirer d’autres acteurs. La Commission européenne encourage d’ailleurs ces initiatives, estimant que la concurrence a fait baisser les prix de 25 % en moyenne sur les lignes concernées.

L’équation économique à résoudre

Derrière les annonces médiatiques, Trenitalia et la SNCF jouent une partie d’échecs complexe. La première doit prouver qu’elle peut concilier prix bas et qualité, sans reproduire les erreurs du transport aérien low-cost (surcharge, retours clients négatifs). La seconde doit moderniser son modèle coûteux, tout en préservant ses emplois et son réseau.

Les prochains mois seront décisifs. Si Trenitalia parvient à fidéliser ses clients tout en gardant des tarifs attractifs, elle pourrait durablement s’implanter en France. Dans le cas contraire, la SNCF retrouverait une position dominante… au risque de voir les prix remonter.

En synthèse , La guerre des prix lancée par Trenitalia sur Paris-Marseille révèle les tensions d’un marché ferroviaire en mutation. Entre avantages réglementaires, défis infrastructurels et attentes des voyageurs, la compétition redessine les règles du jeu. Les consommateurs y gagnent aujourd’hui, mais l’équilibre reste précaire.

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