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Antonine Maillet, voix de l’Acadie et lauréate historique du Goncourt, s’éteint à 95 ans

C’est un chapitre de l’histoire littéraire francophone qui se referme. Antonine Maillet, romancière et dramaturge acadienne, s’est éteinte à Montréal ce lundi 17 février, à l’âge de 95 ans. Première autrice non-européenne à obtenir le prix Goncourt en 1979 pour Pélagie-la-Charrette, elle demeure la seule Canadienne à avoir reçu cette distinction. Son éditeur a confirmé la nouvelle dans un communiqué, soulignant une carrière marquée par la défense de la culture acadienne et les nuances du « chiac », dialecte mêlant français archaïque et anglais.

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Une traversée des mémoires


Née en 1929 au Nouveau-Brunswick, Antonine Maillet a consacré son œuvre à raviver les récits d’une communauté meurtrie. Pélagie-la-Charrette, roman épique retraçant l’exil des Acadiens déportés par les Britanniques au XVIIIe siècle, reste un symbole. À travers l’odyssée de Pélagie, femme guidant son peuple vers la terre natale, l’autrice donnait chair à ce qu’elle nommait « le premier nettoyage ethnique de l’Occident ». « Nous sommes des éternels déportés », confiait-elle au La Presse, insistant sur la persistance d’une blessure collective.

Son personnage de « La Sagouine », femme de ménage au verbe acéré, incarna une autre facette de son génie. Parcourant les complexités sociales et linguistiques de l’Acadie, cette figure, née d’une pièce radiophonique en 1971, a transcendé les pages pour inspirer un parc thématique au Nouveau-Brunswick. Articulant le « chiac », mélange de français ancien et d’anglais, La Sagouine cristallisait une identité longtemps marginalisée, la projetant sur la scène internationale.

Une langue en résistance


Écrivant dans un français teinté de révolte, Antonine Maillet a su capter les murmures d’un peuple résilient. Ses quarante ouvrages, oscillant entre théâtre et roman, ont servi de pont entre l’Acadie et le reste de la francophonie. Le président français Emmanuel Macron, réagissant sur X, a salué « une force rebelle » dont « la conversation élevait l’âme ». « La Francophonie la pleure, de l’Acadie au Pacifique », a-t-il ajouté, rappelant l’universalité de son message.

Au Canada, les hommages se multiplient. La ministre de la Culture Pascale St-Onge a assuré que « son héritage littéraire perdurera », évoquant une femme dont l’œuvre a redonné fierté à une minorité linguistique. Commandeur de la Légion d’honneur, citoyenne d’honneur de Montréal, Antonine Maillet vivait depuis des années dans une rue portant son nom, symbole d’une reconnaissance tardive mais profonde.

L’Acadie comme horizon


Son travail dépassait la littérature, dessinant une cartographie intime des luttes acadiennes. Le « Grand Dérangement », épisode historique souvent occulté, trouvait en elle une conteuse capable de transformer l’exil en épopée. Ses personnages, ancrés dans l’oralité, résonnaient comme des gardiens de la mémoire, refusant l’effacement.

Le parc « Pays de la Sagouine », attraction culturelle célébrant son univers, témoigne de cette empreinte durable. Lieu de rencontres et de spectacles, il perpétue le dialogue entre passé et présent, entre racines et modernité.

Une voix qui persiste


Si la romancière s’en est allée, les questions qu’elle soulevait — identité, résistance, survivance linguistique — conservent leur actualité. En tissant des récits où l’individu se fond dans le collectif, Antonine Maillet a offert à l’Acadie une légitimité littéraire. Son approche, mêlant humour et gravité, a permis de dire une histoire sans la figer dans la nostalgie.

Les dernières années de sa vie, elle les a passées à observer, depuis sa résidence montréalaise, les métamorphoses d’une langue qu’elle chérissait. « Porteuse d’une parole qui dérange et enchante », selon les mots d’un critique, elle laisse une œuvre où chaque mot semble lutter contre l’oubli.

Dans les librairies comme sur les scènes de théâtre, ses textes continueront de murmurer l’histoire d’un peuple qui, malgré les déportations et les assimilations, refuse de se taire. Antonine Maillet, en ramenant les Acadiens « à la maison » par les mots, a fait bien plus qu’écrire : elle a rendu visible l’invisible.

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