L’intelligence artificielle s’invite dans le droit : Un avocat généré par IA secoue un tribunal au USA

Dans un tribunal américain, une affaire insolite a récemment secoué les codes traditionnels de la justice. Jerome Dewald, un homme de 74 ans, a tenté une défense pour le moins audacieuse lors d’un procès l’opposant à son ancien employeur. Plutôt que de plaider lui-même ou de faire appel à un avocat, il a choisi de se faire représenter par un avatar généré par intelligence artificielle (IA). Une initiative qui, loin de convaincre, a suscité l’ire des juges et ravivé le débat sur l’utilisation de l’IA dans le monde du droit.
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Une mise en scène déroutante
L’histoire commence le 26 mars 2024, lorsque le tribunal autorise Jerome Dewald, qui a décidé de se représenter seul, à accompagner sa plaidoirie d’une présentation vidéo préenregistrée. Une requête a priori banale, mais qui va rapidement prendre une tournure inattendue. Lorsque la vidéo est lancée, les juges découvrent un homme jeune, à l’apparence soignée, qui ne ressemble en rien au plaignant. Intriguée, la juge Sallie Manzanet-Daniels demande des explications. « Je l’ai créé », répond calmement Dewald, avant de préciser : « Ce n’est pas une personne réelle. »
L’avatar, entièrement conçu grâce à une IA, était censé incarner une version plus assurée et éloquente de Dewald. Mais cette tentative de déléguer sa défense à une marionnette numérique n’a pas été du goût du tribunal. « Il aurait été bon de le savoir lorsque vous avez déposé votre demande. Je n’apprécie pas d’être induite en erreur », a rétorqué la juge, visiblement agacée, avant d’ordonner l’arrêt immédiat de la vidéo. L’incident a mis en lumière une question cruciale : jusqu’où peut-on intégrer l’IA dans une salle d’audience sans compromettre l’intégrité du processus judiciaire ?

Face au mécontentement des juges, Dewald a rapidement présenté ses excuses par écrit, exprimant ses « profonds regrets ». Dans sa lettre, il explique avoir eu recours à l’IA pour atténuer la pression qu’il ressentait à l’idée de plaider seul. « Mon intention n’a jamais été de tromper, mais plutôt de présenter mes arguments de la manière la plus efficace possible », a-t-il insisté. Contraint de reprendre la parole lui-même, il a finalement défendu sa cause, non sans difficultés, bégayant à plusieurs reprises sous le poids du stress.
L’IA dans le droit : entre promesses et dérapages
Ce n’est pas la première fois que l’IA fait des vagues dans le domaine juridique. En 2023, un avocat américain avait défrayé la chronique en utilisant ChatGPT pour rédiger un dossier juridique. Le résultat ? Un document truffé d’erreurs, incluant des références à des procès fictifs inventés de toutes pièces par l’IA. L’avocat, qui n’avait pas vérifié les informations fournies par l’outil, avait été condamné à une amende de 5 000 dollars. Cette affaire avait mis en évidence les limites de l’IA, notamment son manque de fiabilité lorsqu’il s’agit de manipuler des données juridiques complexes.

Pourtant, malgré ces déboires, l’IA s’impose progressivement comme un outil incontournable dans le monde du droit. Un article publié par Jules Thomas, intitulé « C’est un métier ! : chez les avocats, l’IA est déjà là », illustre cette transformation. De nombreux avocats adoptent désormais des outils d’intelligence artificielle générative pour gagner en productivité, que ce soit pour des tâches administratives, des recherches documentaires ou la rédaction de synthèses. Ces technologies permettent de réduire les coûts et d’accélérer les processus, offrant ainsi un accès plus abordable à la justice pour les petits litiges.
Un exemple concret est celui du cabinet de Jocelyn Ziegler, qui a lancé Justicelib, un chatbot basé sur l’IA. Ce service permet aux clients d’expliquer leur situation à une IA, qui génère une mise en demeure après avoir analysé les pièces fournies. Coût de l’opération : 60 euros, contre 300 à 500 euros pour une prestation classique. « Les honoraires sont trop chers pour les petits litiges, donc on utilise l’IA pour baisser les coûts », explique Ziegler. Cette initiative montre comment l’IA peut démocratiser l’accès à la justice, tout en soulevant des questions sur l’avenir du métier d’avocat.
Une adoption à deux vitesses
Si les avocats du secteur privé embrassent ces outils avec enthousiasme, leur adoption reste inégale. Selon un rapport du Sénat français publié en décembre 2024, les professions juridiques privées sont en avance sur le service public de la justice en matière d’intégration de l’IA. « Il y a même une fracture entre les professions privées et le service public », note le sénateur Christophe-André Frassa, rapporteur du document. Cette disparité reflète des différences de moyens, mais aussi des visions contrastées sur le rôle de la technologie dans la justice.

L’affaire Dewald illustre également une autre problématique : l’IA peut-elle réellement remplacer l’humain dans un contexte où l’émotion, l’intuition et l’éthique jouent un rôle central ? Si l’avatar de Dewald était conçu pour projeter une image de confiance, il a au contraire semé la méfiance. Les juges, attachés à l’authenticité et à la transparence, ont perçu cette initiative comme une tentative de manipulation, même involontaire.
Vers une redéfinition de la justice ?
L’incursion de l’IA dans les tribunaux soulève des questions fondamentales. D’un côté, elle promet d’améliorer l’efficacité et l’accessibilité du système judiciaire. De l’autre, elle expose les risques d’erreurs, de biais et de perte de confiance. L’épisode de l’avatar de Jerome Dewald, bien que rocambolesque, rappelle que l’innovation technologique doit s’accompagner d’un cadre éthique et juridique clair.
En attendant, l’IA continue de redessiner les contours du métier d’avocat. Si elle ne remplacera probablement pas les professionnels du droit, elle pourrait transformer leur rôle, en automatisant les tâches répétitives et en laissant plus de place à la stratégie et à l’accompagnement humain. Quant aux justiciables comme Dewald, ils devront peut-être apprendre que, dans une salle d’audience, la sincérité et l’authenticité restent des atouts irremplaçables, même à l’ère de l’intelligence artificielle.