Un nouvel épisode s’est ajouté à la lutte pour la restitution des trésors culturels africains spoliés pendant la colonisation. Cette fois, c’est un sceptre en bois sculpté, ayant appartenu au roi Béhanzin du Dahomey, qui se trouve au centre de l’affaire. Mise en vente par la maison Millon à Paris, la pièce a vu sa cession suspendue grâce à l’intervention des autorités béninoises. Ce combat, loin d’être isolé, s’inscrit dans une démarche plus large de reconquête du patrimoine africain.
À lire aussi : 100 ans Après, Le Tambour Parleur Djidji Ayôkwé Retourne en Terre Ivoirienne
Une pièce historique au cœur de l’affaire
Ce sceptre, appelé récade, est bien plus qu’un simple objet d’art : il est le symbole de l’autorité et de la souveraineté du roi Béhanzin, dernier monarque du Dahomey (1890-1894). Sculpté dans un bois dur de patine rousse et brune, il porte une représentation puissante : une main fermée sur le foie d’un ennemi vaincu, un message clair de pouvoir et de victoire.
Selon le catalogue de vente, ce sceptre aurait été « offert » par Béhanzin aux troupes coloniales françaises lors de sa reddition, le 15 janvier 1894. Pourtant, cette version des faits est fortement contestée par des experts comme Marie-Cécile Zinsou, présidente de la Fondation Zinsou et militante de la restitution des biens culturels africains. « Ce sceptre fait partie des nombreux objets pillés pendant la colonisation », a-t-elle affirmé, dénonçant ce qu’elle considère comme une tentative de falsification de l’histoire.
La mobilisation du Bénin et de la France
Alertée par Marie-Cécile Zinsou, la présidence béninoise a rapidement agi. En collaboration avec le ministère français de la Culture, elle a demandé à la maison Millon de retirer la récade de la vente prévue le 20 décembre. Face à cette pression, Millon a accepté de suspendre la vente, bien que la maison ait précisé qu' »aucun obstacle juridique » ne s’y opposait.
Alain Godonou, chargé de mission aux patrimoines et musées à la présidence béninoise, a déclaré : « Nous travaillons actuellement à un futur rapatriement du sceptre en lien avec la famille concernée, la maison de vente et les autorités françaises. Nous sollicitons l’ensemble des mécanismes légaux afin d’y parvenir. »
Une lutte inscrite dans une politique de restitution plus large
Cette affaire s’inscrit dans un cadre plus global. Dès 2016, le président béninois Patrice Talon avait officiellement demandé la restitution des biens culturels spoliés par la France. Cette revendication s’est renforcée en 2017, lorsque le président français Emmanuel Macron a déclaré à Ouagadougou vouloir faciliter les restitutions de biens culturels africains d’ici cinq ans.
Depuis, des avancées notables ont eu lieu. En 2019, la France a remis symboliquement au Sénégal le sabre d’Oumar Tall, figure historique de l’empire toucouleur. En 2021, le Bénin a récupéré 26 œuvres des trésors royaux d’Abomey, pillés au XIXe siècle. Ces moments, salués comme des « victoires historiques », ont nourri l’espoir d’une réconciliation culturelle entre l’Afrique et ses anciennes puissances coloniales.
Le rôle central du rapport Savoy-Sarr
Une étape clé dans ce processus a été le rapport publié en 2018 par les universitaires Bénédicte Savoy et Felwine Sarr. Commandé par l’Élysée, ce document a révélé que 90 % du patrimoine culturel africain est conservé hors du continent, principalement en Europe. Ce rapport a également encouragé la mise en place de cadres juridiques pour faciliter les restitutions.
Cependant, le chemin reste semé d’embûches. En 2024, un projet de loi français visant à encadrer les restitutions a été reporté en raison de l’instabilité politique en France. Cette lenteur législative illustre la complexité du sujet, où se mêlent enjeux juridiques, politiques et symboliques.
La non vente du Sceptre royal de Béhanzin : Une victoire symbolique pour le Bénin
Pour Jean-Michel Abimbola, ministre béninois du Tourisme, de la Culture et des Arts, la suspension de la vente de la récade est une « étape significative ». « Ce sceptre royal, qui représente l’âme du peuple béninois, doit à long terme intégrer la collection nationale béninoise », a-t-il déclaré.
Cette démarche n’est pas qu’une question de patrimoine : elle est aussi une manière de restaurer la dignité d’un peuple et de rétablir une histoire souvent déformée. À travers ce combat, le Bénin envoie un message fort : celui d’un continent qui revendique fièrement son héritage et sa place dans le récit mondial.
Un combat qui se poursuit
Alors que le sceptre royal de Béhanzin attend son rapatriement, cette affaire rappelle que la restitution des biens culturels ne se limite pas à un simple retour physique d’objets. Elle touche à des questions profondes d’identité, de justice et de reconnaissance. Pour le Bénin et d’autres nations africaines, chaque victoire, aussi petite soit-elle, est un pas de plus vers la réappropriation de leur histoire.